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Publié : mer. mai 26, 2004 8:23 pm
par Moutton
Février 1944.
La mission de demain est une reconnaissance non armée dans le secteur nord. Nous n’aurons pas de charge offensive, bombes ou roquettes, mais les armements fixes, mitrailleuses et canons, seront approvisionnés, juste au cas où. Des convois ont été signalés récemment et semblent réapprovisionner les forces terrestres Russes qui empêchent notre Wehrmacht de poursuivre ses opérations. Notre objectif est de recenser et déterminer la position de ces convois pour mener des missions anti-navires dans la journée. L’heure de départ est fixée à 3h30. Notre Kommandant nous explique qu’ainsi nous n’aurons pas à craindre la chasse ennemie qui n’est pas équipée pour les missions nocturnes dans ce secteur, et la DCA, déjà faiblement précise, ne sera pas un obstacle majeur.
Je suis tiré du lit à 2h30 par mon radio, Wolfgang. Péniblement, je m’habille avec la combinaison de vol, directement sur mon pyjama, une couche de vêtements supplémentaire n’est jamais de trop dans ce climat arctique. Puis, je me dirige vers la cantine. Nous ne sommes que quatre, avec le barman et l’officier des renseignements pour nous tenir compagnie. Le briefing aura lieu ici, en buvant notre substitut de café. Les objectifs sont rapidement mis à jour et notés sur le carnet de vol.
A 3h15, nous finissons d’engloutir notre petit déjeuner et nous nous dirigeons vers le hangar. Notre Zerstorer est là, il nous attend, avec le chef mécanicien, Otto, à ses cotés. Nous sommes les seuls à partir ce matin, les autres resteront couchés pour quelques heures encore, au chaud dans le hangar. Otto est seul à nous attendre. Il finit de mettre notre oiseau en condition pour le départ. Les moteurs tournent depuis une bonne demi-heure pour ne pas baisser en température voire geler. Deux bidons d’essence sont posés à coté de l’appareil, un dernier ravitaillement avant de prendre les airs.
Je monte dans le cockpit, aidé d’Otto. Même à travers les épaisses couches de vêtements, je sens le métal froid sur ma peau. J’enlève un gant pour toucher le tableau de bord. Il est gelé, tout comme le manche à balai. Si j’avais eu la main mouillée, je n’aurais pas pu la décoller sans m’arracher un bout de peau. Non, je n’aime pas cette région, ce climat, cette guerre. Otto me sangle, puis va voir Wolfgang pour l’attacher lui aussi. Pendant ce temps, je jette un coup d’œil aux instruments. Tout est en ordre, juste la température des moteurs qui restent en deçà de la température recommandée, rien de grave.
« Ca y est chef, vous êtes parés. »
« Merci Otto. »
« C’est bon de mon coté, j’appelle la Tour » me fait Wolfgang sur notre radio interne.
« Non, surtout pas ! Silence radio total, et nous sommes les seuls fous à prendre l’air à une heure pareille. »
« Affirmatif, chef. »
Otto est là, prêt à retirer les cales. D’un signe, il tire sur les cordes et l’oiseau commence à avancer, il n’attendait que ça. Je mets les gaz au ralenti et nous avançons dans la nuit, avec pour seule lumière Otto qui nous indique le chemin à suivre à l’aide d’une vieille lampe à pétrole.

3h29. Nous sommes en bout de piste, moteurs au ralenti. A attendre le signal du départ, je m’assoupi doucement. Et la fusée verte est lancée. Je pousse les gaz à fond, puis les freins sont relâchés. L’avion prend doucement de la vitesse. La piste n’est pas éclairée, de peur de révéler sa position, c’est sous la lumière des étoiles que je me dirige. Et nous sommes en l’air. Rentrée des trains. Rentrée des volets. Régime de montée. La mission est commencée.
« Cap 280, Altitude 2500 » m’indique Wolfgang.
Le silence est d’or, il l’est encore plus la nuit, pour un avion de reconnaissance isolé. Le silence radio est total, même en cas d’attaque ou de découverte d’objectif critique. Nous n’avons à notre disposition qu’une petite radio interne afin de communiquer entre nous. Toute relation avec l’extérieur est interdite. Notre consigne lors de l’atterrissage sera d’allumer nos feux de navigation, alors la Flak devrait ne pas nous cibler. Cette mission, qui pourrait être une simple mission de reconnaissance est bien plus dangereuse qu’elle n’en a l’air. J’espère juste ne pas croiser d’autres Bf-110 de chasse de nuit ou des Focke-Wulf. Nous ne sommes déclarés sur aucun plan de vol, nous avons le silence radio total et nos formes peuvent porter à confusion avec d’autres appareils russes. Enfin, on ne change pas le destin.
Ce soir, ou plutôt ce matin, la nuit est claire. Très claire, même. Quelques nuages sont présents mais n’interfèrent pas avec la visibilité, au mieux cachent-ils les étoiles à leur passage. Nous en avons pour cinquante trois minutes de vol, suffisamment pour apprécier ce silence et ce paysage sombre. Tout semble dormir, la guerre semble ne pas avoir effet la nuit. Au détour d’une colline, un village brûle, des explosions apparaissent crevant l’obscurité. La guerre ne dort jamais. Est-ce une offensive de la Wehrmacht ? Des Ivan ? Impossible à dire, ils sont trop loin, ils sont trop bas, il fait trop sombre, ça n’est pas notre mission. Nous le saurons aux nouvelles demain matin. Peut-être faudra-t-il faire une nouvelle mission de reconnaissance dans le secteur ou une mission d’appui pour nos troupes. Nous le saurons demain.
Voilà trente minutes que nous volons dans le noir, en silence, bercés par le ronronnement de nos moteurs. Ils ont été sages, aucun n’a toussé des flammes pouvons révéler notre présence, ils tournent rond, ils nous emmènent avec eux. Un petit coup d’œil à l’indicateur de cap qui m’annonce que je dois corriger de quatre degrés sur la gauche. Ce n’est pas si mal sans repères au sol. Bientôt, nous serons au dessus de la mer, seuls avec les flots. Notre altitude me rassure, nous sommes à 5,000mètres, en cas de panne moteur, nous aurons le temps de revenir sur la côte, je l’espère.
« Dans douze minutes, on passe au cap 85. »
Wolfgang ne dormait pas. Je n’ai jamais su comment il faisait, mais grâce à lui, je ne me suis jamais perdu. C’est un des navigateurs les plus doués que je connaisse, et j’ai l’honneur d’être son pilote.
« Bien reçu. Douze minutes au cap 85. »
Il ne s’est pas endormi non plus. Ca aussi, j’ai du mal à le comprendre. C’est toujours le premier levé, et quasiment le dernier couché. Comment fait-il pour tenir le coup, et surtout dans une mission telle que celle-ci ou il n’a pour lumière qu’une petite lampe torche pour regarder la carte de temps en temps. Il doit contempler les étoiles, leur parler, connaître leurs noms. Moi, j’ai mon tableau de bord illuminé pour me tenir compagnie. Les cadrans me racontent tous une petite histoire quand je les regarde. L’un me montre mon battement d’aile, l’autre me donne mon temps de voyage restant, et ainsi de suite. Je deviens sûrement fou à voir mes instruments ainsi, mais je ne dors pas et je garde le plan de vol. J’ai une photo de ma douce Karla accrochée sur le tableau de bord, mais la nuit m’empêche de voir son visage, qu’importe elle est encore plus belle dans mes pensées. Wolfgang doit aussi regarder sa Petra, dont la photo est scotchée sur son genou gauche, comme d’habitude.
« Cap 85 dans 20 secondes ! »
Quelle précision dans ses mesures. J’ai juste le temps de régler l’indicateur de cap, et j’incline à gauche. Et voilà, nous voici dans l’axe.
« Combien de temps ? »
« On commence à chercher, Chef ! »

Plus le temps de rêvasser, l’heure de la surveillance a sonné. Je bats des ailes, pour ne pas avoir d’angle mort. Non, toujours rien à l’horizon. Chercher les bateaux est impossible, il faut trouver leur sillage qui se démarque de la houle régulière. Certains capitaines connaissent cette technique de recherche et coupent leur moteur jusqu’au petit matin. Je descend de 1,000 mètres, nous y verrons mieux. Un petit point lumineux apparaît à l’horizon. Illusion d’optique ? Reflet d’une étoile ? Non ! C’est un navire !
« Wolf ! Convoi repéré à 1 heure ! »
« Bien reçu, je vérifie. »
Je prend un cap qui me mettra juste au dessus de ce convoi. Si jamais il possède une DCA de nuit, cela nous expose particulièrement, mais c’est assez rare et cette position me permettra de mieux évaluer le cap et la destination du convoi.
« Ok, on a aucun convoi de signalé dans les parages, c’est bien des Ivan. »
« Bien reçu, je passe pour un top vertical. »
Le point lumineux s’est transformé en une myriade de petits points blancs, verts et rouges. Ils ne nous ont pas encore repérés. Je réduis le régime moteur, pas question de les affoler. Je distingue maintenant une petite dizaine de bateaux. Oui, c’est bien un convoi de réapprovisionnement. Sûrement des troupes et du matériel léger. J’essaye de m’aligner dans leur sillage, ça me donnera leur cap. Je suis légèrement sur leur gauche, pour ne pas les perdre de vue. J’ai juste le temps de relever un cap approximatif de 110 quand les lumières s’éteignent les unes après les autres, en moins de trois secondes.
« Wolf, cap approximatif du convoi 110. Ils font le black out. Top vertical estimé dans 30 secondes. »
« Ok, bien reçu, continue sur ce cap, il y en a sûrement d’autres. »
« S’ils ne sont pas complètement idiots, ils ont transmis notre venue. On en trouvera pas d’autres. »
« Affirmatif. Je te donne un cap retour. »
S’il devait y avoir plusieurs convois qui se suivent, en général dès que l’un d’entre eux se fait repérer, il averti le reste du groupe qui met alors ses machines en panne et assure un black out. Cette philosophie m’arrangeait dans le sens où je n’avais aucune intention de m’éterniser ici.
« Ok, cap retour 225. On va faire un petit tour au-dessus du territoire d’Ivan, juste pour le narguer. »
« C’est toi le navigateur. »

Un long virage à droite et nous voilà sur notre cap retour. Dans une dizaine de minutes, nous serons de nouveau au dessus du continent, mais du mauvais coté des lignes. Pas question d’avoir d’avarie ici. Les instruments me chantent tous que tout va bien à bord, je les crois, et après un bref regard à chaque moteur je me dis que nous serons bientôt rentrés. Tiens, je sens mes mains devenir de plus en plus lourdes. Mes mouvements deviennent plus lents. Je m’affaisse doucement dans mon siège, la fatigue et le froid commencent leur travail. Je me laisse aller. Il n’y a rien à craindre ici, c’est un secteur sûr. Nous venons de repasser sur les terres et le territoire allemand n’est qu’à cinq minutes. Je m’accorde ces cinq minutes à m’engourdir superficiellement. Les étoiles sont mes anges gardiens. D’un large mouvement de tête, je me penche sur la gauche pour contempler la campagne endormie.
Qu’est-ce que ?! Argh ! Mes yeux ! Je suis complètement ébloui ! Je me couvre le visage avec les mains avant de reprendre mes esprits. Des spots ! On est illuminés par des spots !
« Attention DCA !! » me hurle Wolfgang. « On est illuminés ! »
« J’ai vu ça. » s’énerver ne servant à rien, j’ai répondu au plus calme de ce que je pouvais dans une telle circonstance.
Une fraction de seconde plus tard, une dizaine de spots de poursuite est sur nous, et la DCA commence à se mettre en marche. Nous sommes accueillis par des dizaines voire des centaines d’obus qui montent à notre rencontre. Immédiatement, j’enchaîne les manœuvres évasives pour me, pour nous, tirer de là. Break gauche. Pongée. Break droit. Split-S. Toutes les figures acrobatiques sont passées en revue. La DCA russe n’est pas précise, mais dans la nuit, personne ne sait ce qu’il peut arriver. Wolfgang me suit dans mes manœuvres, silencieusement. Il ne dit rien, pour pas me perturber. C’est déjà arrivé, on a pris un coup dans l’aile. On a été obligé de s’éjecter à quelques kilomètres des lignes amies. Miraculeusement, on a réussi à rejoindre l’escadrille deux jours après. Personne n’était coupable, mais il s’en est toujours voulu d’avoir hurlé des ordres dans les écouteurs, pensant que c’est ça qui m’avait perturbé et poussé à la faute. Seule la DCA était responsable, mais Wolf ne voulait entendre raison.
Pendant ce qui m’a paru une éternité, je me suis débattu comme un chien pour éviter tous les obus, balles et autres schnarpels envoyés depuis le sol, jusqu’à ce que j’entende un craquement de métal. On a été touché ! Wolf hurla dans les écouteurs. Un cri de douleur, et pas un cri d’horreur. On a pas été touché, il a été touché !!
« Wolf ?! »
« Aaaaargh !! Ma jambe ! »
Mais on est encore dans la zone de DCA, pas question de voler droit, malgré la douleur que j’inflige à mon navigateur, je dois encore faire des acrobaties sinon on y restera tous les deux. D’un coup, comme c’est arrivé, les spots et la DCA se sont tus. Par sécurité, j’effectue encore quelques acrobaties avant de retrouver une ligne de vol plus calme.
« Wolf !! Wolf !! »
« J’ai reçu un éclat dans la jambe droite ! »
« Tu vas t’en sortir ! »
« J’ai arrêté le saignement mais la plaie est énorme ! »
« On arrive bientôt ! Me lâche pas ! »
« Prend le cap 260 pendant 7 minutes et on sera rentrés. J’ai pris la position de la base, si jamais c’est une allemande, je … »
Il s’est évanoui. Sacré Wolf. Même blessé il reste formidable. Je prend le cap de la base, et je règle la radio-compas. Oui, on est sur le bon cap. On est bientôt rentrés. Je pousse les gaz à fond, au risque de rentrer les réservoirs vides. L’alarme de fond de réservoir vient de s’allumer. Peu importe, Wolf doit être soigné au plus vite.
A deux minutes de la base, j’allume les feux de navigation. Il ne faudrait pas que notre propre DCA ne finisse le travail des Ivan. Toujours dans l’obscurité, je descend à 1,000mètres. Je me mets à battre des ailes longuement et longtemps avant d’approcher la base qui se détache maintenant du paysage. J’espère réveiller Wolf et attirer l’attention de la DCA ; avec de la chance, une équipe médicale sera présente.
Je commence le circuit d’atterrissage. Les gaz sont réduits, le train sorti. Des lumières sont allumées le long de la piste. Ils m’attendent. Je m’aligne, je sors les volets d’atterrissage, et avec la plus grande délicatesse, je pose les roues. Mon long freinage m’emmène jusqu’au bout de la piste, mais je ne veux pas brusquer l’avion et Wolf qui est resté inconscient. Puis, je me dirige vers le hangar. Seul Otto m’attend, il me fait un grand sourire juste avant de voir le trou béant à l’arrière de l’habitacle. Immédiatement, il court au téléphone pour appeler l’équipe médicale qui accourt sur les lieux juste à temps quand je stoppe les moteurs.
Wolf sera emmené à l’infirmerie où sa jambe sera soignée avec succès. La plaie était importante mais peu profonde.


Cette mission fut considéré comme un succès total car elle permit de dénicher un convoi de ravitaillement en direction des lignes de front russes, ainsi que de découvrir une nouvelle base russe fortement défendue. Les sorties anti-navires prévues pour le 14/JG5 se sont vues annulées au profit de sorties pour détruire cette nouvelle base, trop proche de nous. Le Bf-110 de reconnaissance fut considéré comme endommagé mais réparable sous les 24h.

Publié : jeu. mai 27, 2004 12:56 pm
par Scrat
Vraiment super, ton war report ! J'adore !!!